Skip to content

Le Code Noir de Louis XIV (Théâtre)

Category:

Le Code Noir de Louis XIV

Théâtre

Publication: Avril 2008

« Le Code Noir permet de comprendre pourquoi l’Afrique ne décolle pas »

Connaissez- vous le « Code Noir » ? Ou bien êtes-vous de ceux ou celles qui, malgré de nombreuses publications, malgré leur degréd’instruction, n’en savent encore rien ou pas grand-chose ?

Savez-vous que le « Code Noir » demeure un document d’« incontournable référence » ? Savez-vous que le « Code Noir » est au coeur même de l’histoire de la France, de l’Afrique, de l’esclavage, de la colonisation, de toute l’humanité ? …

Léandre Sahiri propose dans ce livre, « Le Code noir de Louis XIV », de faire connaître, par le théâtre, pourquoi et comment le « Code Noir » a été conçu, fabriqué et par la suite officialisé, promulgué par Louis XIV, Roi de France…

« Un livre qui a l’avantage d’être écrit dans un langage de très bon niveau et d’expliquer plus clairement ce qui, dans le Code Noir, paraît implicite et inaccessible à tous… ». Elie Liazéré, Dramaturge et critique littéraire.

~ ~ ~
 

 

 

 

AVANT-PROPOS
(Extrait du livre)

**********************************************************************

Je rêvais…

Je rêvais d’écrire un livre
Un livre sur l’esclavage,
Mais un livre
Qui ne soit pas un ouvrage
De plus ou de trop sur l’esclavage.

Je rêvais d’écrire un livre
Mais un livre blanc
Qu’on ne puisse pas lire
Sans broyer du noir.

Je rêvais d’écrire un livre
Mais un livre noir
A faire passer des nuits blanches.

Je rêvais d’écrire un livre
Mais un livre à la puissance d’un jet d’eau
Une eau bien froide reçue en plein sommeil
Sur le visage.

Je rêvais d’écrire un livre
Mais un livre différent
Qui nous force à accepter nos différences.

Je rêvais d’écrire un livre
Mais un livre de vie
Qui incite à célébrer le deuil
Le deuil de nos complexes.

Je rêvais d’écrire un livre
Mais un livre sur la bonne conscience
Pour lever le voile de nos inconsciences.

Je rêvais d’écrire un livre
Un livre-miroir
Qui soit le reflet
Mais le reflet fidèle de notre histoire
Notre histoire commune.

Je rêvais d’écrire un livre
Mais un livre-lumière
Plus étincelant que soleil et lune
Pour éclairer la lanterne
Des peuples calés
Dans le cachot des ténèbres.

Ce livre, le voici :
« Le Code Noir de Louis XIV »
Une pièce de théâtre en quatre actes.
A vous, maintenant, de la lire jusqu’au bout et d’en juger…

Léandre Sahiri
London, 10 / 05 / 2007

********

Analyse de l’écrivain Jean-baptiste Tiémélé

**********************************************************************

Il ne m’était jamais arrivé de penser que, un jour l’on tirerait du CODE NOIR, document juridique, une pièce de théâtre. Grande a donc été ma surprise de découvrir, au Salon du Livre, à la Porte de Versailles, à Paris, en 2008, que la réalité est tout à fait autre ; et ce, grâce à l’ingéniosité du Professeur Léandre Sahiri qui, après des recherches, a réussi à restituer les séances des différents débats au Conseil d’Etat, au terme desquels furent adoptés les projets de lois sur l’esclavage des Noirs.

Ainsi est né « Le Code Noir de Louis XIV », une pièce de théâtre riche d’enseignements, composée d’un prologue et d’un épilogue encadrant ses quatre Actes.

Dans chacun de ces Actes, les interventions des membres du Conseil d’Etat ont pour objet de convaincre le Roi d’accepter de prendre des ordonnances pour que les Noirs soient désormais considérés comme des sous-hommes, voire comme des objets de commerce. Les textes de ces ordonnances ont été réunis, depuis un peu plus de quinze ans, par le défunt Ministre Jean-Baptiste Colbert ; son fils et successeur, le Marquis de Seignelay, connaissant bien ledit projet, en assure la présentation.

Quant au Roi, avant toutes choses, il veut savoir : pourquoi faire du Noir un esclave, un objet ? Qu’adviendra-t-il de ses droits naturels, de sa liberté ? Le Marquis de Seignelay lui répond que « Désormais, les Noirs doivent être absolument traités comme nos biens meubles transmissibles et négociables, c’est-e-dire qu’ils ne sont ni plus ni mains que des objets, tels les chaises, les tables et autres dont nous disposons à loisir pour nos commodités et pour nos besoins. C’est ce principe-là que le Code Noir de Louis XIV atteste, pour sous-tendre, à tout jamais, toutes les formes de relations que, désormais, nous aurons ou établirons avec les Noirs, à commencer par « la traite Négrière ».

Le Ministre de la Justice renchérit ce que dit le Marquis de Seignelay. Pour lui, « … l’esclave ne jouit d’aucune capacité juridique, nous devons désormais considérer l’esclave noir, comme un objet, comme un bien, au même titre que les autres biens appartenant aux maîtres que nous sommes ». Tous les intervenants, notamment le Ministre de l’Intérieur, le Ministre de la Marine, le Ministre de la Culture, le Ministre du Commerce, abondent dans le même sens.

Cette unanimité est due au fait que les guerres incessantes, menées pendant de longues années par Louis XIV, ont ruiné le pays qui, de plus, connaît des mouvements sociaux graves ; l’économie est à son plus bas niveau. Et, les membres du Conseil d’Etat connaissent tous la situation. Ils savent que le royaume a besoin d’argent et que le prestige du Roi doit demeurer et s’étendre non seulement sur l’Europe, mais sur le monde entier. Seul, selon eux, l’esclavage des Noirs permettra à la France d’échapper à la banqueroute et de mieux préserver son rayonnement.

Le Roi, dès lors qu’il est au courant des intentions des initiateurs du Code Noir, n’entend pas donner son avis, sans au préalable, s’être fait expliquer, par tous les représentants du peuple et de l’Eglise au sein du Conseil d’Etat, les différents aspects du dossier et sans connaître les tenants et aboutissants de cette nouvelle pratique ; ceci, afin d’éviter d’être accusé, plus tard, de faire « cohabiter, sans management, droit et esclavage » ou de « déshumaniser les Noirs, tant sur plan juridique que civil, de les bestialiser, de les chosifier ».

Tout au long des débats, les Evêques, se référant à la Bible, se font un devoir de rassurer le Roi. L’Evêque de Paris insiste, à la fin du 1er ACTE : « Majesté ! Vous pouvez compter sur nous, pour que soit exécutée votre volonté de voir les Noirs consentants et complices du sort qui leur sera fait… La voie la plus sûre pour asservir les Nègres, c’est de les amener à la conversion, comme l’a fait Paul pour les Thessaliens ».

Très fervent catholique, le Roi insiste pour savoir si la traite des Noirs ne se heurte, ni à la religion, ni à la morale. C’est la que les hommes de Dieu entrent en jeu, pour réaffirmer la malédiction des Noirs. D’entrée de jeu, l’Evêque de Versailles annonce les efforts à faire pour rendre inoffensifs ces maudits ! « Par la religion, dit-il, nous leur inculquerons, à leur insu, les vertus de la soumission, de la subordination, de la servilité, sous-prétexte de recevoir, en échange, une place au paradis céleste. Par la religion, nous les amènerons, à leur insu, à intégrer dans leur subconscient le complexe d’infériorité, la vertu de la pauvreté et l’idée fixe que, en tant que descendants de Cham, ils sont les seuls individus propres et aptes à l’esclavage permanent ».

Ces déclarations ne rassurent que leurs auteurs. Comment accepter, en effet, que des Evêques trompent leurs fidèles ! Eux, riches et puissants, ils tournent le dos aux vertus de la pauvreté et imposent le complexe d’infériorité comme la clé qui ouvre les portes du paradis. Le Roi sait, désormais, qui il a devant lui. Mais, l’exercice du pouvoir ne le contraint, opportunément, à composer.

Dans l’ACTE II, les scènes 1, 2, 3 témoignent de la vie quotidienne à la Cour de Versailles : il est 15h. Le Conseil d’Etat est réuni. C’est le moment pour le Roi de demander à connaître le contenu du Code Noir. Ce document a pour but « de codifier les règles applicables aux esclaves nègres, en vue de nous acquérir et de nous conserver une main d’œuvre abondante et peu coûteuse », dit le Marquis de Seignelay.

Dans la scène 4, le Marquis de Seignelay fait cas des punitions réservées aux esclaves d’une part ; et d’autre part, il énonce les articles concernant l’attitude (« de ruse ») des maîtres vis-à-vis de leurs esclaves (s’il est interdit de torturer les esclaves, le marquage au fer chaud de la fleur de lis est autorisé). Puis, il lit, à la demande du Roi, un grand nombre des textes du Code Noir. C’est au terme de cette lecture qu’est signé, en cette année 1685, conjointement par le Roi et le Marquis de Seignelay, l’édit, connu sous le nom de « Code Noir ».

Dans l’ACTE III, des gens masqués de blanc, et dont les cheveux trahissent l’origine, tous, par leurs discours, dénoncent le destin qui est fait aux Noirs : ils sont des victimes de l’application du Code Noir, comme le dit le Treizième masque :

« Voyez-vous
Alors que
Nous devons vivre libres et égaux
Nous
Nous sommes esclaves
ESCLAVES ».

Toutes les brutalités subies par les Noirs connaissent, dans l’ACTE IV, des aggravations subtiles.

En effet, M. Willie Lynch, un Anglais propriétaire d’esclaves dans les Antilles, invité par le Conseil d’Etat, est venu livrer « Certaines méthodes nouvelles et anciennes de contrôle des esclaves. Il s’agit d’«inculquer aux Noirs le complexe d’infériorité vis-à-vis des Blancs. […] Utiliser les Noirs les uns contre les autres, minutieusement, astucieusement, dans tous les domaines, de façon à créer en leur sein, une crise de confiance totale, de façon à les empêcher de s’unir, d’être prospères et fiers d’eux-mêmes ».

En fait, ces méthodes nouvelles et anciennes de contrôle des esclaves, c’est une longue liste de références comportementales nécessitant des années d’éducation. Celle-ci, une fois acquise, bien assimilée, se transmettra pendant des milliers d’années…

Pour ma part, je ne doute pas que la méthode de M. Willie Lynch a été sérieusement appliquée dans les Iles et en Afrique. N’oublions pas que, en France, l’esclavage a été aboli a deux reprises : 1794-1804 puis 1804-1848. A la deuxième abolition, pour détourner la loi, il a été décidé d’aller asservir les Noirs sur place, sous le prétexte d’apporter aux prétendus « Sauvages » LA CIVILISATION ! Il suffit de regarder la carte de répartitions géographiques des populations dans chaque Etat, pour s’apercevoir que le principe « diviser pour régner » est bien appliqué. Deux ethnies ou deux religions s’affrontent pour prendre le pouvoir ! La crise de confiance fait le reste ! Et, l’Afrique se déchire !

Malgré le résumé très sommaire que j’ai fait du « Code Noir de Louis XIV », la pièce n’en demeure pas moins essentielle. Et, il est bon que chacun de nous la possède ou aille la voir jouer. Les raisons économiques, les prétentions hégémoniques font oublier aux hommes que leurs semblables ont les mêmes droits naturels qu’eux. A les voir s’embourber dans des absurdités pour justifier leurs comportements, l’on est amené à se demander : MAIS, OÙ VA LE MONDE ?

Les conséquences des décisions prises alors et quotidiennement exécutées, se font sentir encore, aujourd’hui ! Il suffit d’écouter le ministre de La culture de l’époque, dire au Conseil d’Etat : « … Si l’esclave accepte sa situation de servitude, ou de soumission, c’est aussi du fait de La ruse, y compris le conditionnement psychologique pour anéantir sa velléité ou sa volonté de révolte. Dans ces conditions, au diable l’indulgence ! Au diable La fraternité ! Au diable l’égalité ! Et place à la force et au lavage de cerveaux! »…

Quand un président va dire aux Africains, en Afrique : « Vous n’êtes pas entrés clans l’Histoire », ne s’inspire-t-il pas des pratiques du passé ? Ne poursuit-il pas « le lavage de cerveaux» ? Incontestablement, le CODE NOIR sert encore, inspire quotidiennement les conquérants inavoués. Au terme de cette analyse, je suis tenté de lancer cet appel : Africains, apprenons l’histoire des autres continents, sans oublier la nôtre. L’union et la solidarité régnant au sein des autres communautés devrait être une révélation pour les Africains vivant sur le continent ou de la diaspora. C’est à cela que le Professeur Léandre Sahiri nous invite avec son livre « Le Code noir de Louis XIV ».

Jean-Baptiste TIÉMÉLÉ – (Avril 2014)

********

Interview de Léandre Sahiri.
Article publié le 2 avril 2008.

**********************************************************************

« Le code Noir de Louis XIV » est le titre du livre que vous venez de publier aux Editions Menaibuc en France. Et, vous dites dans l’avant-propos : « je rêvais d’écrire ce livre ».Quel est l’enjeu qui sous-tend la publication d’un tel ouvrage ?

Léandre Sahiri : L’enjeu qui sous-tend la publication de mon livre « Le Code Noir de Louis XIV » comporte un triple aspect. Le premier aspect, c’est que beaucoup d’Africains se demandent souvent pourquoi, malgré ses richesses incommensurables l’Afrique va mal et demeure sous-développée ? On entend souvent les gens se demander pourquoi les Noirs sont généralement les plus défavorisés dans la vie ? Et puis, beaucoup d’entre nous s’adonnent à l’autodestruction, allant jusqu’à conforter les autres dans leurs préjugés de mépris sur les Noirs. Par ailleurs, quelles que soient leurs zones de vie et leurs valeurs intrinsèques, quels que soient leurs degrés de réussite, les Noirs sont vilipendés, brimés, dénigrés, discriminés… pourquoi ? Les Noirs n’ont pas la force de construire ensemble dans leurs riches diversités, ni d’entreprendre ensemble dans la complémentarité, ni de vivre ensemble dans le respect des uns et des autres ; de même, nos organisations ne sont ni manifestes, ni fiables, pourquoi ? Sommes-nous maudits, à jamais condamnés ? Comment faire et que faire pour nous en sortir, pour ne pas laisser perdurer ces états de servitude ? Etc. Moi, en tant que chercheur, j’ai mis tous mes efforts à trouver des réponses à ces interrogations. Et c’est après avoir lu le Code Noir que j’ai trouvé quelques éléments de réponse à nombre de ces questions brûlantes… Le deuxième aspect, c’est que, en Occident circule une thèse selon laquelle, seuls les Africains sont responsables de la « traite négrière ». Pour les tenants de cette thèse, ce sont les Africains qui ont vendu leurs frères et, que les Européens n’ont eu, au bout du compte, qu’un rôle exclusivement passif. On va même quelques fois jusqu’à mettre sur le même plan, l’esclavage que pratiquèrent jadis les Africains, les trafics négriers que développèrent les Arabes, et le commerce triangulaire (réglementé par le « Code Noir ») qu’instituèrent les Européens, en englobant les trois, sous le même vocable : la traite. Et qui, dit-on, avec chiffres à l’appui, a généré plus d’esclaves et a été plus horrible que la traite européenne. Il s’agit là, comme dit Serge Bilé, d’un « révisionnisme dangereux » qui n’a pas manqué de susciter ma curiosité et qui m’a fait penser qu’on n’a pas encore tout dit sur l’esclavage, du moins qu’il restait encore des zones d’ombre à éclairer… Le troisième aspect concerne l’abolition de l’esclavage et sa commémoration. Le bicentenaire de l’abolition de l’esclavage, le 10 mai dernier, a donné lieu, ici et ailleurs, à de multiples commémorations et célébrations. Vous savez aussi que l’abolition de l’esclavage en 1886, était censé marquer l’avènement de la réintégration des « hommes et femmes de couleur » dans la famille humaine d’où ceux-ci avaient été éjectés, plusieurs siècles durant, par l’esclavage, qui fut institutionnalisé, réglementé par le Code Noir promulgué en 1685 par Louis XIV, Roi de France. Cependant, force est de reconnaître que, malgré cette abolition, l’esclavage, demeure encore de nos jours une réalité. En effet, des millions d’enfants, d’hommes et de femmes en sont encore victimes à travers le monde, sous des formes diverses.

C’est donc là ce qui vous a poussé à écrire « Le Code Noir de Louis XIV » ?

L S : En effet, l’intérêt de mon livre c’est de faire connaître le contenu du Code Noir, pour comprendre notre humaine condition, pour appréhender les subtilités des relations Nord/Sud… En fait, il s’agit de montrer comment et pourquoi le Code Noir a été conçu. Il s’agit également et surtout d’en dévoiler la face cachée et de mettre en lumière ses incidences et ses influences dans nos vies quotidiennes aujourd’hui.

Alors, qu’est-ce donc que le Code Noir dans ses principes et dans son fonctionnement ?

L S : Le Code Noir est un recueil de lois. En un mot, une réglementation. Et cette réglementation concerne spécifiquement l’esclavage des Africains noirs. Elle comporte, à sa base, un principe clair et précis : « les gens de couleur et plus précisément les gens à la peau noire doivent être, pour toujours et partout, vus et traités comme des biens meubles transmissibles et négociables » (Article 44). Autrement dit, dès lors qu’on est un homme de couleur, comme ils disent, on n’est ni plus ni moins qu’un objet dont les Occidentaux peuvent et doivent disposer, à loisir, pour leurs commodités et leurs besoins. C’est ce principe-là du Code Noir qui a sous-tendu la traite négrière, la colonisation, et qui aujourd’hui sous-tend la Françafrique.

Quel intérêt y avait-il à codifier l’esclavage des Noirs ?

L S : C’est que le Code Noir constitue le socle pour faire des Noirs, en toute bonne conscience, les outils de travail, les instruments de production, les produits marchands des Français. Il a été promulgué, pour qu’il existe désormais, à l’image de la Bible ou du Coran, un document de référence incontournable, qui institutionnalise l’esclavage des Noirs. Le Code Noir a donc été conçu comme un document juridique qui rend légitime et normal le commerce des Noirs, étant donné que le Noir est défini, dans le Code Noir, d’abord comme une chose domestique et ensuite comme une marchandise. Et donc, comme tout objet de commerce, le Noir pouvait être soumis aux lois du marché. Codifier l’esclavage légiférait que, dès lors, il n’y a ni crime, ni délit au négoce des Noirs.

Dans quel contexte historique et politico-économique « le Code Noir » a-t-il été rédigé ?

L S : Les raisons sont d’abord d’ordre économique. On sait qu’après avoir bâti de toutes pièces et de toute beauté le Château de Versailles et l’Hôtel des Invalides, après les multiples guerres pour étendre la suprématie de Louis XIV sur le monde, la situation économique de la France était bien critique et, partout en France, il y avait la misère et des révoltes. Et, c’est justement cela qui a conduit les Français, non seulement à promouvoir, à une très grande échelle, le commerce triangulaire des esclaves noirs, mais aussi et surtout à l’organiser et à le codifier. Car, après étude, l’on a trouvé que c’est là que résidait véritablement le salut de la France. Jean Baptiste Colbert disait, à juste titre : « Il n’y a aucun commerce dans le monde qui produisît tant d’avantages que celui des Nègres. Il n’est rien qui contribuerait davantage à l’augmentation de l’économie que le laborieux travail des nègres »…

Est-ce seulement pour des raisons économiques qu’on a eu besoin de réglementer le commerce des Noirs ?

L S : Bien sûr que non ! A ces raisons commerciales évidentes, s’ajoutent d’autres raisons d’ordre politico-démographique : il s’agissait à cette époque de limiter la puissance des Noirs, laquelle puissance résultait de leurs ressources incommensurables, de leurs activités débordantes et de leurs grandes forces de travail. En effet, à cette époque, les Africains étaient trois fois plus nombreux que les Occidentaux. Il y avait donc une puissance latente présageant la suprématie des Noirs sur les Blancs durant plusieurs siècles. On avait donc perçu cela comme une menace, voire un péril. Le professeur Elikia M’Bokolo a démontré clairement qu’au début du commerce triangulaire, l’Afrique n’était pas un continent inférieur à l’Europe. M’Bokolo a aussi démontré que l’ordre mondial de cette époque n’était pas une donnée naturelle, mais historique et culturelle. De ce fait, il est impossible de nier que la déstructuration provoquée par l’esclavage a été très grave et très profonde, et d’ailleurs, les conséquences sont encore visibles aujourd’hui… Et puis, aux considérations commerciales et aux préoccupations d’ordre politico-démographique dont je viens de parler, s’ajoute également le souci capital de renforcer le pouvoir central, d’étendre le pouvoir de Louis XIV sur le monde entier. Il y a aussi des raisons d’Etat, à savoir garantir la sécurité publique par la suppression des révoltes, des attentats et insurrections fomentés par les « Nègres marron » et quelques Noirs instruits dans la langue et la culture françaises. Et puis, il y a enfin les raisons religieuses : le préambule et les dix premiers articles du Code Noir tendent à proclamer et à imposer la primauté, voire la prééminence de l’église catholique, apostolique et romaine en France et dans le monde.

Que pensez-vous des arguments bibliques auxquels certains évêques et prêtres se sont référés pour légitimer l’esclavage ?

L S : Ces arguments n’ont aucun fondement, quoique s’appuyant sur la Bible. Il faut préciser que les évêques de l’époque étaient non seulement nommés par le Roi, mais aussi et surtout ils étaient à la charge du Roi et donc acquis, par redevance, à sa cause. De plus, leur niveau d’instruction était tel qu’ils n’avaient pas assez d’éléments pour s’élever au-dessus de certaines contingences intellectuelles ; par exemple, ils se trouvaient incapables d’expliquer ce que signifie « être fait à l’image de Dieu ».

Vous parlez du « Code Noir » comme d’un document important à connaître absolument pour la libération mentale du Noir. Et, vous dites même que c’est une abomination que de l’ignorer…

L S : C’est vrai que c’est une abomination que d’ignorer le Code Noir. Parce que l’ignorance du Code Noir favorise la continuité, voire la pérennité de l’esclavage, ne serait-ce qu’au plan mental. C’est pourquoi, de mon point de vue, nous devrions, tous et toutes, absolument connaître le Code Noir, afin d’enrayer de notre mental le complexe d’infériorité pour les uns et le complexe de supériorité pour les autres. Il faut absolument connaître le Code Noir afin de tuer en nous les germes du racisme, du larbinisme, de la dépréciation et des discriminations de tous genres. En effet, c’est notre ignorance du Code Noir qui nous maintient dans des situations de défavorisés, de sous-hommes. C’est notre ignorance du Code Noir qui justifie, pour nombre de Noirs, le mépris d’eux-mêmes, au point d’en arriver à se détester et à s’autodétruire. Autant j’ai compris que ce n’est pas confortable d’ignorer ce que d’autres savent, autant je déplore qu’il ne soit pas du tout fait cas du Code Noir dans la plupart de nos programmes et manuels scolaires…

Pensez-vous que le destin de l’Afrique aurait été différent si les Africains avaient eu depuis longtemps connaissance du Code Noir ?

L S : Bien sûr que oui ! Le destin de l’Afrique aurait été totalement différent si les Africains avaient, depuis longtemps, eu connaissance du Code Noir. Parce que tout simplement les rapports entre Nord et Sud auraient été différents, on aurait instauré un autre type de relation entre la France et l’Afrique que le commerce triangulaire ou la colonisation, etc.

Qu’est-ce qui explique le lourd silence des descendants d’esclaves et des Africains au sujet du Code Noir ?

L S : Simplement parce que le Code Noir est un document qui a été longtemps tenu secret. Car comme le dit le professeur Louis Sala-Molins, « c’est le texte le plus monstrueux que l’histoire ait jamais produit ». De ce fait, il a généralement circulé sous manteau ; on parle à ciel ouvert du Code Napoléonien, du Code de la nationalité, mais pas autant du Code Noir, eu égard à sa nocivité. On a même bien souvent tenté de noyer le poisson dans l’eau, par exemple en créant un parfum de luxe dénommé « Code Noir »… Par ailleurs, il faudrait savoir la part très importante prise dans l’esclavage des Noirs par l’Eglise qui devait « inculquer aux Noirs la soumission et la subordination sous prétexte de recevoir en échange le paradis céleste ». Il ne faut pas non plus perdre de vue les missions de pacification ou de civilisation pour soi-disant sortir les Noirs de la sauvagerie et de la barbarie, étaient, en réalité, destinées à perpétuer l’esclavage et éviter toute velléité de prise de conscience et toute initiative de révolte des Africains contre le système de l’esclavage des Noirs.

Pourquoi avoir choisi le genre dramatique pour poser ce problème ?

L S : La plupart des textes sur le Code Noir sont des essais ou des discours. Or, comme je l’ai dit dans l’Avant-propos, je rêvais de faire quelque chose de différent. C’est non seulement l’une des originalités de mon œuvre, mais c’est d’abord et avant tout un choix idéologique et esthétique. En effet, j’ai choisi le genre dramatique, parce que, pour moi, le théâtre est primordial. Le théâtre, dans toute sa splendeur, a un pouvoir majestueux, comme le cinéma, de nous renvoyer des images fortes pour nous faire percevoir la réalité des choses, des êtres et des faits. Le théâtre a la magie des images qu’on a peine à rendre dans un roman ou dans un essai. Et puis, le théâtre, c’est le point de rencontre entre le réel et l’imaginaire, c’est un art total, en tant que prolongation et synthèse de tous les arts, notamment la peinture, la décoration, la chorégraphie, la danse, la musique, la mimique, la gestuelle, etc.

A quoi correspond le fait de faire tenir les rôles des personnages noirs par des personnages blancs et vice-versa ?

L S : Pour moi, une œuvre littéraire n’est jamais vraiment achevée. Je veux laisser la liberté au metteur en scène d’approfondir le texte et d’y apporter les innovations comme celles-ci qui sont parfois osées certes, mais nécessaires pour produire un spectacle original, grandiose, prodigieux, à la seule condition de ne pas trahir les idées de l’auteur. Et puis, au-delà de cet aspect purement chorégraphique, faire tenir les rôles des personnages noirs par des personnages blancs et vice-versa vise à donner une dimension cathartique à mon œuvre, c’est-à-dire la fonction de nous libérer des tensions psychiques, des complexes, des frustrations, des choix inconscients, etc. En d’autres termes, il s’agit, comme dit un des personnages de la pièce, en l’occurrence le propriétaire d’esclaves Willie Lynch, de savoir ce que les uns « éprouveraient eux-mêmes dans une situation d’esclavage ». Et puis, je me réfère à cette citation de Marivaux dans L’Île des esclaves : « Eh bien ! Iphicrate, on va te faire esclave à ton tour ; on te dira aussi que cela est juste ; et nous verrons ce que tu penseras de cette justice… Quand tu auras souffert, tu sauras mieux ce qu’il est permis de faire souffrir aux autres… ».

Au-delà de tout ça, quel message voulez-vous adresser aux lecteurs ?

L S : Je voudrais préciser que mon intention n’est nullement de dresser les Noirs contre les Blancs ! Il ne s’agit pas non plus de blanchir ni d’innocenter les Africains, en ce qui concerne l’esclavage et la situation de misère que vit aujourd’hui l’Afrique ; car, nul ne saurait nier que les Africains ont effectivement pratiqué l’esclavage ou le servage, comme tant d’autres peuples de la terre… En outre, nul ne saurait nier la part de responsabilité des Africains dans la mauvaise gouvernance, les détournements des deniers publics, la corruption des régimes au pouvoir, les retournements de veste, les fraudes électorales, les rebellions, les génocides et autres guerres tribales qui, soit dit en passant, sont loin de nous honorer… J’ai écrit ce livre pour inviter à parler de ce document plus ou moins tabou, le Code Noir, à en débattre pour combattre le mensonge, l’ignorance, la discrimination, les complexes, et surtout afin de situer les responsabilités des uns et des autres… Mon objectif, c’est aussi de faire saisir la racine profonde du mépris terrible que certaines personnes portent sur les autres, ou que d’autres personnes se portent sur elles-mêmes, au point de se sous-estimer, de se détester, de se haïr, de s’abandonner au fatalisme, de vouloir changer de peau. Mon souhait, c’est, par-dessus tout, de contribuer, à mon humble niveau, à réveiller les consciences, ainsi que de participer à l’édification d’une humanité nouvelle, débarrassée de toutes les affres des idéologies négatives, néfastes.

Interview réalisée par Serge Grah,
Journaliste – Correspondant DirectAbidjan (Côte d’Ivoire)
serge.grah@directabidjan.com


********

Interview en Ile Maurice

**********************************************************************


De passage à Maurice, l’écrivain ivoirien Léandre Sahiri nous parle de ses deux derniers livres ,Le Code Noir de Louis XIV et une traduction de Jonathan Livingstone Seagull de Richard Bach, parus aux éditions Menaibuc, en France. Il revient également sur son parcours d’enseignant-chercheur et de son engagement pour une Afrique libre.

WES : Parlez-nous de votre visite à Maurice.

Léandre Sahiri : Je suis venu rendre visite à des amis. J’en profite pour faire la promotion de mes derniers livres. J’ai eu l’occasion de rencontrer des enseignants qui m’ont invité à animer une conférence. Je suis professeur de littérature et chercheur de profession. J’aimerais bien poursuivre ma carrière ici et terminer quelques manuscrits. Mais cela ne dépend pas de moi.

Vous avez publié en mars de cette année Le Code Noir de Louis XIV. Pourquoi vous êtes-vous intéressé à ce texte ?

L S – C’est un texte que tout le monde doit connaître. Cela nous permet de comprendre pourquoi l’Afrique ne décolle pas. Le Code Noir, promulgué par Louis XIV est venu réglementer l’esclavage. J’ai voulu montrer comment le Code Noir a été conçu et dans quel but. L’article 44 dit que “les gens de couleur et plus précisément les gens à la peau noire doivent être, pour toujours et partout, vus et traités comme des biens meubles transmissibles et négociables”. Des siècles après, des millions d’hommes, de femmes et d’enfants en sont encore victimes à travers le monde. J’ai voulu mettre en lumière ces incidences et ces influences dans nos vies quotidiennes. Car l’esclavage, pour moi, est constitué de différents cycles. Il y a d’abord eu la traite des Noirs. On est venu chercher les Africains chez eux, pour les forcer à travailler ailleurs, dans des conditions inhumaines. Puis, il y a eu la colonisation : on est venu exploiter les Noirs chez eux. Un troisième aspect est le sous-préfet. On a fait croire aux Africains qu’ils étaient indépendants, mais ce n’est pas le cas. Vient ensuite l’immigration. Les Africains sont partis, de leur propre gré se faire esclaves chez les autres. Car c’est le cas de le dire : on réserve à l’immigré africain les travaux les plus subalternes dans le système. Nous sommes actuellement dans une autre phase, qui est l’immigration sélective. L’Occident choisit qui il peut accepter chez lui pour son confort.

Vous avez également écrit une lettre au président ivoirien, Laurent Gbagbo au sujet de ce livre. Qu’attendiez-vous de lui ?

L S – Il faut d’abord dire que le président Gbagbo est quelqu’un que je connais. Je l’ai côtoyé, notamment durant son exil en France. Il symbolisait l’espoir pour la Côte d’Ivoire. Le jour de son élection il a dit : “Le pouvoir rend fou, j’espère que cela ne m’arrivera pas. Au cas où ça m’arrivait, je demande à mes parents et amis de me faire revenir sur terre.” Ma lettre était dans ce sens. Je voulais lui rappeler un certain nombre de choses et surtout de son engagement pour les jeunes d’Afrique. Mais, à ce jour, je n’ai eu aucune réponse.

Vos écrits ont donc une dimension politique ?

L S – Je suis très engagé. Lorsque je vivais en Côte d’Ivoire, j’étais très actif sur le plan politique et syndical. J’étais un des responsables du Syndicat national des établissements du secondaire de la Côte d’Ivoire. En 1987, sous le président Houphouët-Boigny, nous avons mené une manifestation pour réclamer une école de la réussite pour tous les enfants africains. Cela s’est très mal passé. Il était sous-entendu que le système d’alors n’était pas convenable. J’ai demandé asile politique en France. Mon départ était très mal perçu.

Vous êtes retourné en Côte d’Ivoire depuis ?

L S – Oui, j’y suis retourné après 16 ans, plus précisément en 2002, lorsque Laurent Gbagbo est devenu président. J’ai eu un poste à l’Université d’Abidjan. Mais cela a été plutôt une mauvaise expérience. J’avais beaucoup œuvré pour l’avènement de la 2e république, mais ce n’était pas ce à quoi je m’attendais. J’ai fait un 2e exil à contrecœur.

C’est à travers vos écrits que vous continuez votre combat, tout comme le font certains de vos compatriotes en chanson ?

L S – Tout à fait. La musique et l’écriture sont deux manières parallèles d’exprimer son engagement. Mais il ne s’agit pas que d’idéaux politiques. J’écris pour les valeurs humaines. Les dérives, l’argent, la paix avec soi-même, la vérité, les comportements… sont autant de choses à connaître et à gérer. C’est ce qui nous permet d’avancer.

C’est dans cette perspective aussi que vous avez traduit en français Jonathan Livingstone Seagull de Richard Bach, paru en juillet dernier ?

L S – Exact. Il existait déjà une version française qui, à mon avis, avait certaines lacunes au niveau des règles de la traduction. Ce livre est tellement riche que j’ai voulu le rendre accessible à un plus grand nombre de personnes. J’ai fait en sorte qu’il y ait un dialogue entre Jonathan et nous. Jonathan, le goéland nous apprend à vivre en utilisant les facultés que Dieu nous a données. Il ne se sert pas de ses ailes uniquement pour trouver de la nourriture, comme le font les autres goélands. Mais il veut toujours aller plus loin, plus haut… C’est une façon de nous amener à éliminer en nous tous les préjugés qui nous empêchent de nous épanouir.

Vos livres seront en vente à Maurice ?

L S – Je suis actuellement en négociation avec les librairies de la place et maison d’édition. Je pense que dans peu de temps les livres seront disponibles ici. J’organiserai une séance de dédicace.

error

Merci de partager

WhatsApp